Un article intéressant sur un groupe que je vous conseille!
Idéalisés, les Strokes haussent le son
LE MONDE | 31.12.05 | 17h16 • Mis à jour le 01.01.06 | 10h48
Après un premier album, Is Thit It ? historiquement décisif, et un deuxième, Room on Fire, qui semblait une redite, les Strokes publient, le 2 janvier, un troisième opus, First Impressions of Earth, où ces symboles du rock rêche new-yorkais surprennent en épanouissant joliment leurs sons et leur spectre de références. Quand on leur demande ce qui a déclenché leur envie de former un groupe, les agitateurs de la nouvelle vague rock britannique (Arctic Monkeys, Editors, Libertines, Art Brut...) n'oublient pas, en général, de citer les Américains des Strokes. A 24 ans, Nick Valensi, un des deux guitaristes de ce quintette new-yorkais, n'en revient pas de jouer si jeune ce rôle de parrain : "Notre première venue en Angleterre, en 2001, semble avoir été décisive pour beaucoup. C'est incroyable ce que nous avons vécu en si peu de temps."
Tout semble même être allé trop vite pour ces jeunes gens présentés dès leur premier disque, Is This It ?, comme les "sauveurs du rock".
"Nous n'avions pas décidé de composer un manifeste, constate le guitariste, mais nous écoutions un genre de musique alors totalement absent des radios et de MTV. Nous avons comblé un vide." Dans ce premier opus, le son pète-sec des Strokes et la concision de leurs chansons faisaient référence aux tensions anguleuses du punk rock new-yorkais — Television, Talking Heads, Richard Hell, Blondie, Ramones — de la fin des années 1970 et à la figure tutélaire de Lou Reed et du Velvet Underground.
A une époque alors dominée par la surenchère sonique et technologique, ce retour à une énergie séminale sonnait comme une excitante promesse.
Particulièrement au Royaume-Uni où, l'hégémonie électronique donnant des signes d'essoufflement, les oreilles étaient prêtes pour un retour des guitares. Dotés d'un sens du style généralement réservé aux groupes d'outre-Manche, les Strokes provoquent alors l'emballement des experts de la hype.
A la "une" de la presse musicale comme des magazines de mode, Valensi, Julian Casablancas (chant), Fabrizio Moretti (batterie), Nikolai Fraiture (basse) et Albert Hammond Jr (guitare) étalent belles petites gueules, cheveux en bataille, baskets Converse, blousons de cuir étriqués, jeans étroits sur corps filiformes, avec ce qu'il faut de classe négligée. Avec les Strokes — dont le leader est le fils de John Casablancas, fondateur de l'agence de mannequins Elite —, le rock redevient photogénique en même temps qu'il retrouve son tranchant.
Certains doutaient de l'esprit rebelle d'un groupe dont deux des membres se sont connus dans un pensionnat suisse. Capable d'un français parfait — sa mère est née à Bordeaux —, Nick Valensi réfute cette réputation de gosses de riches : "Si deux d'entre nous viennent de familles aisées, ce n'est pas le cas des autres. Mon père est mort quand j'étais gamin, ma mère s'est battue seule toute sa vie. Nous avons très tôt perdu notre innocence en traînant dans les rues de New York."
Dans le tourbillon de leur succès éclair, les Strokes ont aussi remis au goût du jour les excès du "sex, drugs & rock'n'roll". Au point de mettre sérieusement en danger leur musique comme leur amitié. "En tournée, nous avions du mal à écrire de nouvelles chansons. Nous passions notre temps à faire la fête. Nous étions épuisés, dépassés par les louanges et l'intérêt qu'on nous portait. Après tout, nous n'avions qu'un album de 37 minutes à notre répertoire."
Leur deuxième opus, Room on Fire, est enregistré à la va-vite pour étoffer les concerts. Le groupe n'a pas le temps de réfléchir à son évolution et reproduit les mêmes riffs aigrelets, la même voix aux saturations sarcastiques, sans que l'ensemble — honorable — atteigne la qualité de Is This It ? Le groupe devra prendre le temps de sortir du piège de son esthétique.
"Si l'alcool et la drogue nous ont mis en péril, nous avons mis un frein à tout ça. Certains se sont mariés, Nikolai a eu un bébé. La dynamique du groupe n'est plus l'amitié virile. Devenir plus responsable, avoir l'esprit clair, nous a permis de prendre un nouveau départ."
Alors que les zélateurs du "retour du rock" ont adopté nombre des références citées par les deux premiers albums des Strokes, les Américains présentent aujourd'hui les perspectives élargies de First Impressions of Earth, fruit d'un nouveau fonctionnement interne.
"Jusque-là, Julian et le producteur Gordon Raphael avaient la mainmise sur le son du groupe. Cette fois, nous avons vraiment mis nos idées en commun. J'avais, par exemple, envie de jouer de manière agressive, de faire ressortir mon penchant pour le heavy metal."
Après tout, les cinq musiciens ne sont pas nés en écoutant Television.
"A l'origine, nous étions tous fans de Nirvana et Pearl Jam. Quand le grunge est parti à vau-l'eau, nous avons remonté l'histoire et découvert la scène new-yorkaise. Mais nous écoutons tous des choses différentes. Fabrizio et moi aimons le rock lourd de System of a Down ou des Queens of the Stone Age ; Julian écoute des trucs plutôt excentriques comme les Magnetic Fields ou Jonathan Richman ; Albert est obsédé par les Beatles et le rock indé, et Nikolai adore le jazz d'avant-garde."
Stéphane Davet
Article paru dans l'édition du 01.01.06
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